Le moins qu’on puisse dire est que l’athlétisme martiniquais et toutes ces Foyal Color Run, 5K, Lambi d’Or, Mad Électrik Run, connaissent des sorts contraires. Ces courses d’un genre nouveau ont, en effet, du succès, alors que notre athlé semble en bout de piste, ou presque. Pourquoi ?
Formatée fun, la course peut comprendre un podium en zone finale, un DJ, un concert, structuration qui ajoute aux sensations heureuses des participants. On est, bien sûr, loin de l’athlétisme, et la relation de performance généralement attachée au sport, est en partie remplacée par une quête du plaisir, du bien-être, du bonheur ; il n’y a qu’un petit pourcentage de participants qui visent véritablement le résultat sportif. C’est beau, c’est bel, chacun cherchant cette émotion que l’on vit individuellement ou en groupe de copines, de copains, qui courent ou sont présents sur le parcours ainsi qu’à l’arrivée. Et après, chacun kiffe dans une choré géante, compétiteur qui a couru à son rythme un parcours plus ou moins difficile.
Ces rendez-vous sportifs d’un genre nouveau, semblent très cools, très codés, funs et structurés, ouverts et fermés. Si cet entre-nous, certainement un peu narcissique, n’est pas exclusif, il semble sociologiquement typé.
Ce sont des personnes nées dans les années 80 qui s’inscriraient le plus à ces manifestations. Il s’agirait donc de la génération dite « y » que les sociologues ont définie. Sans trop vouloir enfermer celle-ci dans une description trop rigide, nous dirons qu’elle privilégie un vivre-sa-vie au présent, et n’accepte pas, comme les parents, de bosser le week-end pour faire le travail d’un patron. Ces « y » sont réputés capables de tout envoyer promener, de quitter l’entreprise ou le bureau, afin de créer leur propre structure. Ajoutant au tableau, certains observateurs disent qu’ils sont difficiles à manager, car persuadés de ne pas être suffisamment valorisés au travail, ils rêvent de créer leur startup. Ces « millennials » qui constituent la première génération réseaux sociaux, seraient accrochés à leur(s) smartphone(s), constamment en attente des mails, sms, et autres messages. Ils en percevraient la vie avec les filtres de cette communication bloguée, et ce faisant, les distorsions au réel que développent les plus accros.
Les sociologues attribuent donc aux « y » une grande impatience, celle-ci étant contraire au lent et long cheminement qui caractérise l’athlétisme. Notons que dans certaines courses, la génération « z », celle encore plus jeune du portable, wifi, réseaux sociaux et e-commerce, est elle aussi présente. Il convient, enfin, de souligner que ces « profils » sont généralement établis à partir de populations vivant aux USA et en Europe. En Martinique, ces grands traits n’ont-ils pas des expressions un peu différentes ?
Une chose est cependant certaine, l’athlétisme et ces manifestations ne sont pas en compétition.
L’athlétisme tient, en effet, d’un projet où les clubs contribuent à la socialisation du jeune, ainsi qu’à son épanouissement sportif. Il se traduit en structures officielles, avec des encadrants, des charges de fonctionnement et, de plus en plus en Martinique, des difficultés financières dues aux problèmes budgétaires des municipalités. Il en résulte des freins en tous genres qui engendrent une réduction des activités. Ajoutons au tableau la diminution des bénévoles de notre société du « ayen pou ayen ».
Les courses nouvelles, elles, n’ont pas de véritables charges sociales, de personnel encadrant permanent à payer. Et si leur succès est réel et leur mise en place nécessaire, au sens où elles répondent à un besoin, ce bisness-sport est profitable à des organisateurs derrière lesquels se trouvent parfois des gens pas toujours respectueux du bien-être de la population et de l’environnement. C’est vrai que certaines courses, notamment Le Lambi d’or, sont organisées en soutien à des gens en difficultés et au service d’une bonne cause. Mais ce n’est pas toujours le cas.
Ces courses new-look drainent donc un nombre non négligeable de participants, à un moment où l’athlé martiniquais sort moins de grands champions ; consciente de ses difficultés, la ligue d’athlétisme de Martinique a fait appel aux services de l’entraîneur national Guy Ontanon. Pour comprendre ces bilans contrastés, sans doute, faut-il également interroger l’âge des dirigeants de ces deux pratiques sportives, et donc leur façon respective de s’appréhender les choses. De manière générale, on trouve dans l’athlétisme martiniquais des bénévoles généreux, des cadres souvent engagés de longue date. Ont-ils tendance à répéter des méthodes réputées efficientes, mais moins efficaces aujourd’hui ? Ces hommes, ces femmes, ont-ils encore les moyens d’être audibles en Martinique ? Le moins qu’on puisse dire est qu’ils le sont moins que les jeunes qui mettent en place ces manifestations sportives en effet de mode.
Pour finir, nous dirons que tant que le client y trouvera son compte, ces courses devraient encore se vendre. Mais comme tout produit de consommation, elles ont sans doute une date de péremption. Le mode opératoire qui assure leur succès étant difficilement applicable à l’athlétisme martiniquais, cette discipline sportive ne devrait pas trop tarder à enrichir et accélérer la réflexion qu’elle a déjà engagée.
Alain De Vassoigne et Louis-Georges PLACIDE
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